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Penser l'inégalité
Nous avons choisi d'exprimer à travers le texte d'un "réfléchisseur" de son temps l'évolution profonde de notre société déjà réalisée et le long chemin qu'il reste encore à parcourir dans l'histoire des mentalités. Ce texte que nous qualifierons de notre point de vue actuel d'ouvertement sexiste témoigne ainsi de la pensée d'une époque et de la tentative de légitimation d'une inégalité infondée.
La nécessité même pour l'abbé Castel de Saint-Pierre (1658-1743) de répondre par écrit à la femme avec laquelle il débattait la veille traduit en creux l'existence d'une réflexion déjà mature à l'époque de la part de certaines femmes sur leur condition et son origine.
D'ailleurs, il est à noter que dans la célèbre "querelle des Anciens et des Modernes", Castel de Saint-Pierre est à considérer parmi les Modernes ... Il est de fait entré à l'Académie française en 1695 avec à son encontre les votes de Bossuet, La Bruyère et Boileau. Sa véritable ''modernité'' dans ce monde patriarcal aura été de croire en la possibilité d'une paix universelle ce qui le rendra célèbre après avoir été le négociateur du traité d’Utrecht (1712-1713), mettant fin à la guerre de Succession d'Espagne.
Les Archives du Calvados conservent la plus grande partie connue des manuscrits de l'abbé Castel de Saint-Pierre (cotes 38F/41 à 46).
Analyse du document
Le document étudié est conservé aux Archives du Calvados sous la cote F/6178 (legs Travers). Il s'agit d'une lettre de l'abbé Castel de Saint-Pierre (1658-1743) à une femme après leur discussion la veille au sujet de l'inégalité entre les hommes et les femmes. Nous reproduisons ci-dessous des extraits de ces pages.
Page 1 : « […] Je disais que les femmes ne sont pas capables des mêmes choses que les hommes […] »
Pages 2 et 3 : «[…] J’ai conclu dans ma dissertation que plus il y avait de différence entre deux corps animés plus il paraissait de différence entre les âmes qui les animent, par une suite des mêmes principes je conclus qu’il y a une grande différence entre la capacité d’un homme et celle d’une femme et je suis obligé d’ajouter que cette différence n’est pas à l’avantage de la femme. L’anatomie raisonnée nous montre que le corps des femmes en général est plus délicat, plus mou, que celui des hommes, que leurs vaisseaux sont plus lâches, moins élastiques […] de là il suit que peut être les femmes penseront plus vivement, plus finement, plus délicatement que les hommes, mais il suit également qu’elles auront moins de suites dans leurs pensées, moins de force dans leurs raisonnements, moins d’étendues dans leurs vues. Il suit que comme les abeilles elles seront très propres à cueillir un peu de miel sur des fleurs, mais qu’elles ne pourront jamais l’employer à ses différents usages. […]»
Page 3 : « Ne me dites pas, Madame, que ces raisons sont l’ouvrage d’une imagination chauffée et prévenue, elles existent dans la nature et tout réflechisseur les trouvera, en plus grand nombre peut-être et peut-être plus fortes que je ne les présente […] »
Page 4 : « […] Madame, que les femmes sont naturellement malades plusieurs fois dans l’année, n’est-il pas vray ? […] »
Pages 4 et 5 : « […] Vous êtes de bonne foy, j’entends votre réponse, ne me dîtes donc plus que la force et l’authorité ont présidé au partage qui existe entre les hommes et les femmes, la providence a réglé nos rangs et nos places, ce serait la méconnaître que de nous imputer le règlement. […] Mais me dirés-vous, on a vu et on verra encore quelques femmes aussi grandes que des hommes, j’en conviens, il n’est point de règle sans exception […] »
Page 5 : « […] Au reste ne vous plaignés pas de vôtre sort, nous ne pouvons avec justice nous enorgueillir du nôtre ; une femme qui remplit bien son état, fait beaucoup plus pour la société qu’un homme qui remplit le sien […] »
Page 5 : « […] et une femme a plus d’effort à faire pour devenir vicieuse que pour rester vertueuse […] »
« […] mon systheme est une preuve que vous avés les vues au moins aussi étendues qu’un homme, une jolie femme qui n’est que femme est bien dangereuse, mais comment nommerons-nous celle qui réunit les qualités des deux sexes ? […] » (p.7)
Pour aller plus loin
- Les écrits de l'abbé Castel de Saint-Pierre font l'objet d'une édition scientifique électronique par le Pôle numérique de la Maison de Recherches en Sciences Humaines (MRSH) de l'Université de Caen.