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L'esclavage remis en question
Dès le milieu du 18e siècle des voix s'élèvent contre la traite négrière et l'esclavage. Les philosophes des Lumières dénoncent la condition des esclaves. Diderot dans l'Encyclopédie écrit à l'article "Traite des Nègres" que "c'est un négoce qui viole la religion, la morale, les lois naturelles et tous les droits de la nature humaine."
Le point de vue de l'armateur Lacoudrais
Interrogé sur ces idées nouvelles qui se diffusent dans la société l'armateur Lacoudrais livre ses pensées à son ami M. Leclerc d'Angerville en septembre 1788. AD14, 9E/12/11
[...] Vous nous demandez notre façon de penser sur les beaux écrits qui viennent de paraître touchant la traite des noirs.[...] Qu'on adoucisse le sort des Noirs dans les colonies l'humanité en fait la loi et même l'intérêt général s'y trouve, mais que l'on prétende supprimer l'esclavage de ces hommes qui sont encore traités peut-être plus despotiquement dans leur pays que dans nos colonies "je dis que c'est un nouveau train de l'égarement de l'esprit humain." Dans quel moment bon dieu tous les philanthropes viennent-ils dogmatiser, dans un instant où l'on ne sait pas où prendre pour faire face aux engagements de l'Etat. Ils veulent le priver d'un de ses grands revenus [...].
Ajouter à cela les droits d'entrée pour la consommation, ils verraient qu'attaquer les produits dans leurs principes est une ineptie qui mérite les petites maisons ; il est plus que prouvé que les bras de l'homme et d'un homme noir dont la peau est incalcinable peuvent seuls être employés à la culture de la terre de nos colonies, l'ordre établi du pouvoir du maître sur son esclave peut seul entretenir cette fertilité, et ils veulent au nom de l'humanité détruire ces lois, ce Code Noir et [...] rendre libre ces hommes. Tous leurs raisonnements font fortune jusqu'à un certain point dans les soupers de Paris dont ces brillantes rêveries leur assure le pari. [...] Mais l'être sensé qui juge la chose de sang froid dit qu'on peut modifier mais non bouleverser l'ordre établi et un commerce qui est le principe des autres. Voilà notre profession de foi. [...]
Dogmatiser : affirmer de façon catégorique, autoritaire
Mériter les Petites maisons : mériter d'être envoyé dans un asile situé à Paris.
La question de l'esclavage dans un cahier de doléances
La question des colonies et de l'esclavage apparaît dans le cahier de doléances de la noblesse de la sénéchaussée de Couserans (actuel département de l'Ariège). Il n'est pas question d'abolir l'esclavage mais de donner une représentativité aux habitants des colonies dans l'Assemblée des Etats généraux et de "prendre en considération le sort des nègres de nos colonies".
Transcription :
"Que les colonies faisant une des parties les plus essentielles de l'empire français et de son commerce, leurs habitants ont à ce titre, et plus encore par celui d'homme et de sujets du roi droit à une représentation proportionnelle dans l'assemblée nationale et qu'aussi la justice demande que s'il est trop tard pour appeller leurs représentants dans la présente assemblée il soit pris des mesures pour qu'à la prochaine tenue des Etats généraux il s'en trouve de justement élus et suffisamment éclairés par leurs concitoyens sur leurs intérêts, leurs désirs et leurs doléances."
" Que les Etats généraux prennent en considération le sort des nègres de nos colonies."
La première abolition de l'esclavage
C'est grâce aux évènements de Saint-Domingue que l'esclavage est aboli une première fois. Le soulèvement des 500 000 esclaves de la colonie de Saint-Domingue en Août 1791 conjugé à la déclaration de guerre de l'Angleterre et de l'Espagne à partir de 1793 amène le commissaire de la République Sonthonax à affranchir les esclaves de Saint-Domnigue afin qu'ils aident à combattre l'envahisseur. En février 1794, la Convention ratifie ce décret et étend l'abolition de l'esclavage à toutes les colonies françaises.
Transcription :
" Vous avez séché les pleurs que la nation cette tendre mère versoit depuis des siècles sur le sort de plusieurs millions d'êtres infortunés qui gémissaient dans l'esclavage le plus avilissant, victimes de l'ignorance qui les reconnaissant dans la différence de couleurs, semblait les assimiler à des brutes, sacrifiés à l'intérêt qui les soumettait à de sordides calculs, en butte à toutes les passions qui loin d'élever l'honneur, le dégradent en lui faisant croire qu'il est au-dessus de ses semblables.
Pourquoi représentants du peuple, la nature a-t-elle souffert si longtemps cet opprobre au sein de sa propre famille ? Pourquoi n'a -t-elle pas inspiré plutôt aux nations la volonté de faire cesser cette cruelle et honteuse injustice ? La raison en est palpable c'est qu'elle n'a voulu pour consolateurs que ceux de ses enfants qui ont su se rendre digne d'elle, en proclamant ses droits, en démontrant à l'univers entier que le gouvernement du genre humain doit être fondé sur les bases éternelles de la liberté et de l'égalité. Pénétrés de ces principes immuables, nous nous écrions tous, d'une voix unanime , vive la république; gloire, reconnaissance, salut et fraternité à la Montagne, à la Convention nationale."