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La traite normande
Acquis historiographique

On ne peut plus parler désormais distinctement d’une traite réalisée par chaque port normand. Honfleur, Le Havre, Rouen voire Dieppe ont eu des rôles complémentaires :
- Dieppe = rôle pionnier dès la 1ère moitié du 17e siècle dans la traite négrière
- Rouen = financement
- Le Havre = port négrier
- Honfleur = port négrier complémentaire du Havre
Contexte
Honfleur et Le Havre sont de petites villes au moment de la Révolution française mais font partie des principaux ports négriers :
- Le Havre = 20 000 habitants pour 399 expéditions de 1713 à 1792 ;
- Bordeaux = 100 000 habitants ;
- Honfleur = 8 à 10 000 habitants, 7ème port négrier de France au 18e siècle et même 5ème à la veille de la Révolution de Saint-Domingue pour 125 expéditions de 1713 à 1792 ;
- Rouen : la source financière favorisant l’importance de cette traite normande compte 67 000 habitants au moment de la Révolution de Saint-Domingue. Mais au 18e siècle, il s’agit de la troisième place financière en Europe derrière Paris et Londres ! C’est donc de là que provient « l’argent de la traite » si l’on reprend l’expression d’Olivier Petre-Grenouilleau (PETRE GRENOUILLEAU O., L’Argent de la traite. Milieu négrier, capitalisme et développement : un modèle, éd. Flammarion, 2009, 424 p.).
- 1517 : fondation du Havre
- 1548 : date du passage d’un contrat devant notaire entre un seigneur parisien et un seigneur havrais, le capitaine d’Estemanville qui s’engage à lever des nègres sur la côte de Sénégambie. Nous ne sommes alors que 31 ans après la fondation du Havre (1517), ce qui montre combien l’évolution de la ville va de paire avec le développement de la traite négrière.
- 1642 : autorisation officielle de la traite
- 1673 : les bureaux de la Compagnie du Sénégal sont implantés au Havre (compagnie liée à la production sucrière qui succède au tabac)
- 1684 : Richelieu fait construire une citadelle au Havre. La monarchie fait donc le pari de la traite normande et la soutien ce qui est nécessaire car il fallait obtenir son autorisation pour faire du commerce colonial.
- 1689-1697 : guerre de la ligue d’Auxbourg dont incendie de Dieppe. La croissance est cassée par les 3ème et 4ème guerres de Louis XIV, notamment de la pêche à la morue = Le Havre perd de nombreux habitants
Portrait de Jules Masurier, Bib. municipale du Havre, R1326.
Atouts
La traite normande bénéficie de nombreux atouts :
- L'arrière-pays est riche et peut fournir la "pacotille" pour la traite, notamment le pays de Caux qui offre une importante production agricole et proto-industrielle
- Elle est située sur l’axe de la Seine (sauf pour Dieppe)
- Elle bénéficie de l’intérêt de la monarchie : implantation de la Compagnie du Sénégal au Havre et à Honfleur et en 1716, le port de Rouen est désigné comme port négrier par la monarchie avec Nantes, Bordeaux et La Rochelle
- Les Normands sont implantés historiquement en Afrique, ce qui favorise la traite lorsqu’elle est légalisée : entre 1629 et 1659, la présence dieppoise et rouennaise en Afrique est assurée par la compagnie Rozée. De plus, Belain d’Esnambuc, fondateur de Saint-Pierre-de-la-Martinique, est un normand.
Spécificités
Malgré tout, la traite normande possède des spécificités :
- Le rythme des expéditions havraises est beaucoup plus irrégulier qu’à Bordeaux ou Nantes. Entre 1794 et 1814, il n'y a quasiment pas d’expéditions car la ville est alors en proie à des difficultés financières et démographiques
- Le nombre de négriers ordinaires (de faible taille) est plutôt faible, et plus de la moitié des négriers normands ne font que quelques expéditions.
- La carte des sites d’achat d’esclaves en Afrique montre que les havrais achètent plus à certains endroits et que les honfleurais achètent plus à d’autres de façon complémentaire. La côte d’Angole, site traditionnel pour chercher des captifs, est ainsi prisée par les Honfleurais et moins par les Havrais. Il en va de même pour les sites de ventes d’esclaves à Saint-Domingue.
Une culture portuaire négrière
Ce n’est que progressivement que les habitants des ports normands prennent conscience de l’importance prise par la traite négrière localement. La contestation de l’esclavage participe de cette prise de conscience.
- Dans les années 1770, l'abbé Reynal publie une Histoire des deux indes, qui marque le début d’une propagande abolitionniste
- Pourtant, dans les années 1780 le Journal de Normandie en reste surtout aux stéréotypes racistes liés à l’infériorité prétendue des Noirs et au ‘’mythe du bon sauvage’’
- Les Académies de Rouen et Caen évoquent également la question de l’esclavage.