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Les habitations de La Marre Dubocq à Saint- Domingue
Les documents que nous conservons aux Archives permettent d'étudier les habitations d'un colon de Saint-Domingue originaire d'Honfleur : Le Sieur De La Marre Dubocq (ou Delamarre Dubocq).
C'est dans les Archives hospitalières d'Honfleur, dans les papiers d'une famille d'armateurs honfleurais du 18e siècle : le fonds Lion que nous trouvons trace de ces habitations.
En 1765, M. De La Marre Dubocq, colon à Saint-Domingue décède. Dans son testament, il lègue ses biens et sa fortune à la famille Lion de Saint Thibault : Nicolas Thibault Lion, négociant à Honfleur et ses 3 soeurs.
"Succession du sieur Pierre Delamarre Dubocq d'Honfleur habitant à Miragoaine quartier du Petit Goave en l'île de Saint-Domingue décédé au Petit Goave chez M. Michel de Ronseray négociant et son exécuteur testamentaire, le 19 septembre 1765. Léguée en totalité par son testament olographe du 2 février 1761 confirmé par son codicile passé le 1er septembre 1765 au Petit Goave devant vice-notaire à Nicolas Thibault Lion et à ses soeurs enfans de feu Catherine Dubocq sa cousine germaine et Nicolas Thibault lion de Saint Thibault d'Honfleur."
Dans cette succession estimée à plus de 700 000 livres, on trouve de tout : coton, indigo, sucre, café, or, vaisselle d'argent, bijoux et hardes, créances, habitations et esclaves.
Localisation des habitations
Les habitations se situent dans la partie méridionale de l'île de Saint-Domingue dans les quartiers du Petit Goave et du Fond-des-blancs.
Cette carte générale de l'île de Saint- Domingue issue du Tome 7 du Nouveau voyage aux isles d'Amérique de Jean-Baptiste Labat permet de localiser la partie française de l'île et notamment les quartiers sud de Petit et de Grand Goave.
Description dans le journal Les Affiches Américaines de Saint-Domingue
Le journal Les Affiches américaines numéro 23 paru le mercredi 8 juin 1768 annonce la vente de deux habitations dépendant de la succession de La Marre Dubocq. Ce document accessible en ligne sur le site de la Bibliothèque numérique des Caraïbes donne une description assez précise des habitations appartenant à Pierre de La Marre Dubocq.
L'habitation de Miragoane
Nous apprenons que l'habitation située à Miragoâne est la plus importante. Sa superficie est estimée à 3000 pas carrés.
Le pas est une ancienne unité de longueur correspondant à la distance parcourue en une enjambée.
A Saint-Domingue l'unité utilisée pour mesurée la superficie d'une terre est le carreau. Un carreau correspond à 100 pas carrés.
Cette terre est constituée d'une plaine et de collines boisées : "mornes et bois debout". On apprend qu'on y a pratiqué la culture de l'indigo et que l'on y cultive actuellement du coton.
L'habitation du quartier de Petit-Goave ou de Miragôane est mentionnée sur cette carte conservée par la Bibliothèque nationale de France, accessible en suivant ce lien : Plan intérieur et routes de la partie méridionale de l'île de Saint-Domingue. Elle est située près de l'embarcadère de Miragoâne.
Pluisieurs bâtiments sont mentionnés :
- la maison du colon : une maison neuve construite en maçonnerie avec comble de charpente, composée de trois chambres, de quatre cabinets, et d'une grande galerie, d'un poulailler et d'une cuisine.
- les bâtiments de l'exploitation agricole : une sècherie, un magasin à grains et à coton, quatre indigoteries avec leur machines à brimbales.
- les lieux de vie des esclaves : vingt-huit cases à nègres
Des meubles et ustensiles propres à l'exploitation ainsi que 2 mulets de chaise, 27 brebis ou moutons, 20 cabrits et 21 bêtes à corne sont vendus avec les bâtiments.
Cette annonce informe enfin les lecteurs du journal de la vente des esclaves : "On vendra avec ladite habitation ou séparément 40 nègres, 30 négresses, 8 négrillons et 13 négrittes".
L'habitation du Fond des Blancs
L'autre habitation est issue d'un leg d'un nommé Labat au profit de Pierre de la Marre Dubocq Située dans le quartier du Fond des Blancs, elle est plus petite. Voici la description qui en est faite dans les Affiches Américaines :
" Une habitation dépendante aussi de la même succession, sise au Fonds-Des-Blancs, avec jardin à indigo d'environ 40 cuves d'herbes, quelques bâtimens et 7 cases à nègres et on vendra ensemble ou séparérement 8 nègres, 3 négresses, 2 négrillons, 2 bêtes cavalines et quelques effets et ustensiles propres à l'exploitation d'icelle."
Les cultures coloniales
Les cultures pratiquées sur les habitations sont toutes des cultures coloniales d'exportation : indigo, coton, café, sucre.
La culture de l'indigo
La succession de ce colon témoigne de la culture de l'indigo à Saint-Domingue.
Le Père Jean-Baptiste Labat donne une description précise de la culture de cette plante tinctoriale, pratiquée dès les débuts de la colonisation des Antilles.
- Définition et description de la plante
"L'indigo est une teinture dont on se sert pour teindre en bleu les laines, les soies, les toiles et les étoffes".
"L'indigo est composée du sel et de la substance des feuilles, et de l'écorce d'une plante qui porte le même nom."
- Culture de la plante
Le père Labat explique que la culture de l'indigo expose les esclaves à un travail difficile notamment au moment de semer les graines :
"Ce travail est le plus pénible qu'il y ait dans la manufacture de l'indigo; car il faut que ceux qui plantent soient toujours courbés, sans se redresser, jusqu'à ce que la plantation de toute la longueur de la pièce soit achevée; de sorte que quand elle est grande, ce qui arrive presque toujours, ils sont obligés de demeurer deux heures, et souvent davantage dans cette posture."
- Description et fonctionnement de l'indigoterie
On appelle indigoterie : "les bacs ou cuves de maçonneries bien cimentées où l'on met en digestion la plante dont on tire cette couleur."
"Ces cuves sont triples pour l'ordinaire les unes au-dessus des autres en manière de cascade."
"La première la plus grande et la plus haute de ces cuves s'appelle la tremperie ou trempoire ou pourriture[...]". "On nomme la seconde la batterie, elle est presque moitié plus petite que la première. Et la troisième qui est beaucoup plus petite que la seconde s'appelle le diablotin."
La culture de l'indigo ainsi décrite est maintenue sur la petite habitation du Fond des Blancs. Nous apprenons dans l'annonce du journal que sur l'habitation de Miragoane elle a été remplacée par la culture du coton.
Les travaux agricoles sur les habitations
Dans l'attente de la vente des habitations c'est aux héritiers du sieur de La Marre Dubocq, les Lion de Saint Thibault, qui vivent à Honfleur, de payer les frais d'exploitation des habitations. Des économes vivent sur place. Ils gèrent l'exploitation agricole et les esclaves. Les comptes de la succession donnent à voir les travaux agricoles et la gestion des habitations au quotidien. Si les auteurs de réparations spécifiques sont mentionnés et rétribués pour leur travail, le labeur des esclaves est passé sous silence.
Des travaux d'entretien et de réparation du matériel agricole sont mentionnés dans ces documents. Ils sont réalisés par des artisans libres, par des libres de couleur ou par des esclaves venus d'une autre habitation et étant reconnus pour leur compétence.
Cet extrait des revenus perçus sur les habitations au mois de décembre 1768 montre que l'économie de plantation repose sur le travail des esclaves. La culture du coton, de l'indigo, la coupe du bois, l'élevage des animaux... toutes ces activités agricoles reposent sur l'exploitation des esclaves qui vivent sur les habitations.
Transcription :
- " Pour le montant de quatre balles de coton provenant des revenus faits cette année sur l'habitation de Miragôane qui m'ont été livrés par le sieur Bajon économe [...] 1385 livres "
- "Pour le montant de 3 quart indigo provenant du revenu fait cette année sur l'habitation du fond des Blancs qui m'ont été livrés par le sieur Chevret économe [...] 2736 livres "
- "Pour le montant de 26 pièces de bois contenant ensemble 296 pieds qui ont été vendus au sieur Maniere par le sieur Bajon économe [...] 222 livres"
- "Pour le montant de deux taureaux que j'ai vendus au sieur Luneau boucher.[...] 360 livres "
Pour aller plus loin
Découvrir la vie des esclaves des habitations de Pierre de La Marre Dubocq à Saint-Domingue en croisant les comptes de la succession avec l'inventaire des esclaves : inventaire des esclaves de la succession de Pierre de La Marre Dubocq, colon à Saint-Domingue, AD14, 2II/449.